Le renoncement au tabagisme est un processus et non un événement
9 mars 2015
Lisez cette entrevue au sujet de l’abandon du tabagisme avec le Dr Peter Selby, clinicien chercheur dans le domaine de la toxicomanie et directeur de la formation médicale au Centre de toxicomanie et de santé mentale de Toronto
Parlez-nous du travail que vous faites à la Clinique de la dépendance à la nicotine du Centre de toxicomanie et de santé mentale?
Je suis le médecin en chef responsable du traitement de la dépendance à la nicotine. J’élabore également des programmes de recherche et d’application des connaissances portant sur le traitement des personnes pour qui cesser de fumer est particulièrement difficile.
Il est souvent question des fumeurs et de la dépendance à la nicotine dans les médias. Pourriez-vous nous éclairer sur les fondements scientifiques de la dépendance à la nicotine?
C’est la façon dont vous consommez la nicotine qui la rend dépendogène ou non. Fumer la cigarette, le cigare ou la pipe, ou chiquer du tabac, engendre une dépendance à la nicotine. En revanche, la nicotine n’entraîne pas de dépendance lorsqu’elle est absorbée par la peau, par exemple au moyen d’un timbre.
La nicotine stimule les parties du cerveau qui ont trait à la récompense, à l’attention et à la mémoire. C’est l’empreinte que la nicotine laisse sur la mémoire qui est difficile à effacer. Nous pouvons désintoxiquer une personne en un jour ou deux, et au bout d’une semaine, toute la nicotine aura disparu de son organisme, mais les gens peuvent quand même rechuter, et ce, à cause de la façon dont la cigarette s’imprime dans leur esprit.
Les hommes et les femmes fument pour différentes raisons. En général, les hommes ont tendance à fumer pour la sensation de récompense que cela génère. Lorsqu’ils décident de cesser de fumer, ils ont tendance à y parvenir avec plus de facilité. Quant aux femmes, elles fument plutôt parce qu’elles y perçoivent des bienfaits sur le plan social et dans leur capacité à affronter les problèmes. Bien qu’elles répondent à la thérapie de remplacement de la nicotine, elles n’y répondent pas aussi bien que les hommes. Ainsi, elles ont tendance à avoir plus de difficulté à renoncer au tabagisme. Cela peut également être en partie attribuable aux hormones sexuelles féminines.
Vous êtes le chercheur principal de l’étude STOP, qui porte sur l’efficacité de la thérapie de remplacement de la nicotine (TRN) chez les fumeurs de l’Ontario. Quelles ont été vos observations jusqu’à présent?
Le taux d’abandon du tabagisme obtenu grâce à la TRN est de 10 à 30 %. En comparaison, dans la vie réelle, c’est‑à‑dire sans le recours à la TRN, ce taux tourne autour de 3 %. En d’autres mots, nous triplons pratiquement le taux d’abandon. De ce point de vue, cette thérapie s’est révélée efficace et sécuritaire dans le monde réel – de quoi aider à orienter les décisions en matière d’abandon du tabagisme. Les fumeurs devraient donc se voir offrir l’option de la TRN, parce qu’elle les aide réellement à renoncer au tabagisme.
À propos de la TRN, les cigarettes électroniques ont souvent fait la manchette récemment, et elles semblent gagner en popularité sans nécessairement aider les gens à renoncer au tabagisme. Quelles sont vos réflexions à ce sujet?
Les chercheurs, les cliniciens et les décideurs doivent y prêter une grande attention, car pour cesser de fumer, les fumeurs sont plus disposés à essayer les cigarettes électroniques qu’ils ne le sont à prendre des médicaments approuvés. Soit dit en passant, bon nombre d’entre eux nous disent qu’ils s’en servent pour s’éloigner des cigarettes et qu’ils les considèrent comme une solution acceptable pour renoncer au tabagisme. À certains égards, c’est un bon moyen, mais à d’autres non, car nous ne savons pas exactement ce que contiennent ces cigarettes électroniques. Elles n’ont pas été soumises aux mêmes règlements et aux mêmes inspections des produits de consommation que la TRN.
Qu’en est-il des fumeurs eux-mêmes? Que doivent-ils savoir ou faire pour s’aider eux-mêmes à renoncer au tabagisme?
Il s’agit fondamentalement pour eux de suivre un plan d’aide au renoncement au tabagisme en quatre volets appelé STOP :
- Stratégie (avant le jour choisi pour arrêter de fumer – gérer l’environnement, surveiller sa consommation de cigarettes, choisir un médicament et commencer à le prendre)
- Travail sur soi (arrêter complètement de fumer et s’engager à ne pas prendre une seule bouffée
- Optimisation (modifier son plan si l’on ressent un grand besoin de fumer ou si l’on fait un faux pas, pour éviter de rechuter complètement)
- Persévérance (continuer à vivre sans tabac et s’engager à ne pas prendre une autre bouffée, se considérer comme un non-fumeur)
Y a-t-il quelque chose que des amis ou des membres de famille peuvent faire pour aider un fumeur à renoncer au tabagisme?
Les membres de la famille du fumeur doivent lui demander en quoi ils peuvent l’aider. Sans aller jusqu’à l’agacer, ils doivent clairement faire connaître au fumeur qu’il est responsable de sa dépendance. La personne qui veut renoncer au tabagisme doit se sentir à l’aise d’admettre en toute franchise les difficultés qu’elle pourrait rencontrer, et l’oreille bienveillante d’un ami peut s’avérer utile. L’ami peut simplement écouter, offrir du soutien ou prendre carrément l’initiative de déterminer ce qui aiderait le fumeur à ne pas griller la prochaine cigarette. Ce qui importe le plus est de ne pas nuire aux efforts du fumeur en lui offrant des cigarettes, en laissant des cigarettes en pleine vue, ou en lui disant de recommencer à fumer parce qu’il est irritable et anxieux.
Moins de Canadiens fument. Pourquoi d’après vous? Qu’est-ce qui a fonctionné?
J’attribuerais la diminution du nombre de fumeurs principalement à certaines très bonnes stratégies nationales de lutte contre le tabagisme qui ont permis l’établissement d’endroits sans fumée, ainsi qu’au prix et à l’accessibilité des cigarettes. Malheureusement, depuis cinq ans, le taux de diminution plafonne. Nous devons donc envisager des moyens de redynamiser les efforts visant à faire reculer le tabagisme afin que moins de gens se mettent à fumer et que les fumeurs actuels renoncent au tabac une fois pour toutes. À cette fin, il faut des politiques qui viennent bousculer la norme, de façon à ce que fumer devienne un comportement non normatif et que si, malgré tout, vous continuez à fumer et ne pouvez arrêter par vous-même, de l’aide vous soit offerte.
Comment se présente un fumeur en par rapport à il y a dix ans? Avez-vous remarqué des changements démographiques?
De nos jours, il est beaucoup plus probable que le fumeur n’ait pas terminé ses études secondaires, occupe un emploi de col bleu et soit un homme, bien que les femmes commencent à rattraper les hommes à cet égard. Les fumeurs ont tendance à fumer environ une cigarette par heure d’éveil et sont plus lourdement dépendants de la cigarette qu’auparavant. Les fumeurs sont plus susceptibles de présenter un trouble concomitant, qu’il s’agisse d’un trouble mental, d’une autre dépendance ou d’un problème médical. Souvent, on assiste à une combinaison de tous ces troubles concomitants, ce qui peut également conduire à l’isolement social.
Puis, il y a maintenant cet autre groupe de fumeurs, qui se disent des « fumeurs sociaux ». Sans être des fumeurs quotidiens, ces personnes fument quand même. Il s’agit d’un groupe intéressant composé de jeunes qui en sont à un stade suffisamment précoce de leur problème pour qu’ils ne risquent pas de devenir des fumeurs invétérés si on les aide à changer.